dimanche, novembre 28, 2004

C'est un formidable promoteur de croissance et c'est très puissant!

Je manque de temps pour décortiquer ici toute l'actualité mais je compte bien étudier et vous présenter de temps en temps les mécanismes de la désinformation et de la propagande.

En effet, chaque fois que j'étudie un texte néo-conservateur, socialiste, étatiste, alter-mondialiste ou islamiste, plus généralement tout texte écrit sous l'emprise d'une de ces idéologies qui infestent le monde, je trouve des erreurs grossières dans l'analyse ou la présentation des faits, le raisonnement ou les conclusions.

En voici un exemple, pris aujourd'hui chez les néo-conservateurs. Mais d'abord une petite histoire.

Vous connaissez l'histoire de l'ingénieur qui, faisant son rapport hebdomadaire à son chef de projet, lui dit: "c'est un gros tas de merde et ça pue"?

Inquiet, le chef de projet transmet ce message au chef de service: "c'est un énorme tas d'excrément et cela a une odeur nauséabonde très forte."

Alarmé mais néanmoins rassurant, le chef de service s'adresse au responsable de département: "c'est un gigantesque amas de fertilisant, avec une odeur désagréable extrêmement puissante."

Désireux de projeter une image malgré tout positive, le responsable de département remonte au PDG l'information suivante: "c'est une formidable quantité d'engrais avec une odeur extrêmement puissante."

Enchanté, le PDG fait alors une communication à la presse spécialisée: "c'est un formidable promoteur de croissance et c'est extrêmement puissant!"

Alors la presse spécialisée publie un article disant: "La société Trucmuche va connaître une énorme croissance grâce à la fantastique puissance d'une nouvelle gamme de produits."

L'information se déforme en se transmettant, sous l'effet des préjugés (jugement a priori), de l'aveuglement (jugement erroné à l'instant présent) et de ses propres désirs (projection du jugement dans le futur). Illustrons ce principe avec la propagande néo-conservatrice.

Sur Instapundit, blog bien connu et très couru d'un fervent partisan de la politique bushiste, voici un extrait d'un article récent:

Zarqawi a de plus en plus peur.



Remontons le lien indiqué dans l'article d'Instapundit. Conclusion de ce second article, qui analyse une cassette audio de Zarqawi:


Le message est: nous sommes en train de perdre, les gars.

Vous remarquerez qu'il y a une subtile différence entre "avoir de plus en plus peur" et constater que l'on est en train de perdre. Dans le premier cas, l'ennemi et la défaite effraient. Dans le second cas, Zarqawi constate simplement sa défaite.

Continuons un peu. L'information de ce second article provient d'un autre lien, vers un troisième article dont le titre est:


Premiers signaux de défaite: le réseau Zarqawi appelle à l'aide.
A nouveau, le message a été "amélioré". Nous apprenons maintenant que Zarqawi n'est déjà plus en train de constater sa défaite, encore moins de plus en plus effrayé. Il appelle à l'aide et sa défaite est signalée. Or s'il appelle à l'aide, c'est bien qu'il a encore l'espoir d'éviter la défaite, donc qu'il ne la constate pas.

Mais ce n'est pas fini: le titre reflète-t-il la teneur de l'article? Al Zarqawi appelle-t-il vraiment à l'aide? Y a-t-il des signaux de défaite? Ou bien le titre relève-t-il de la méthode Coué? Extrayons la phrase suivante, commentaire de la cassette audio de Zarqawi:

Al Zarqawi a accusé sans les nommer des clercs et des chefs religieux
d'empêcher les Musulmans de se joindre à la rebellion Sunnite à Falloudja.

Appelle-t-on à l'aide quelqu'un en le critiquant et en l'accusant? N'est-ce pas plutôt un reproche qu'un appel à l'aide? Il est permis de le penser car, dans le même article, un certain Al Baghdadi est cité:

Al Baghdadi a déclaré que les insurgés avaient perdu leur refuge
à Falloudja mais a affirmé que Al Zarqawi avait acquis une base plus
large pour ses opérations et son recrutement.

Appelle-t-on à l'aide lorsque l'on a base plus large? En fait, rien dans ce troisième article ne permet de sauter sur la conclusion que Zarqawi appelle à l'aide. On signale simplement des pertes importantes parmi les insurgés, une "cassure de la structure de contrôle et de commandement" et de nouveaux appels au recrutement dans les pays arabes.

Ces informations sont sans aucun doute vraies. Si les insurgés constituaient une armée régulière sous les ordres de Zarqawi, ce dernier aurait effectivement subi à Falloudja une défaite cuisante: lourdes pertes, structure de commandement et de contrôle cassée, appels à de nouveaux recrutements pour compenser les pertes.

Seulement voilà, les insurgés ne sont pas une armée régulière et Zarqawi n'est pas leur chef. En réalité Zarqawi est un fanatique à la tête d'une petit nombre d'insurgés, sans doute pas plus de quelques centaines, d'ailleurs détestés par la vaste majorité des Irakiens, y compris les autres insurgés. Ses exactions se limitent à quelques actes de terreur par jour, à comparer avec la centaine d'attaques qui touchent chaque jour les autorités irakiennes d'Allaoui et l'armée américaine. Zarqawi ne se soucie pas plus de la perte de quelques centaines d'insurgés que Napoléon ne se souciait des morts causés par ses batailles ("Une nuit chaude de Paris repeuplera tout cela").

Les élements avancés dans l'article ne sonnent nullement la défaite de Zarqawi car la seule défaite véritable serait un événement l'empêchant de continuer ses actes de terrorisme: sa mort, sa capture, sa neutralisation par l'absence de nouveaux recrutements, etc...

De même, loin d'appeler à l'aide, il admoneste ceux qui l'empêchent d'utiliser l'effet Falloudja pour recruter encore plus de terroristes. De fait, voici les articles publiés par la presse arabe:

D'après des témoins, les Américains utilisent du napalm à Falloudja.

Imaginez un peu l'effet que cet article, pourtant plutôt modéré, peut avoir sur les 100 millions d'Arabes dans le monde. Non seulement il y a eu des dizaines voire des centaines de victimes civiles innocentes à Falloudja, mais les Américains utilisent du napalm, comme au Vietnam! "Ils ont gagné militairement une bataille mais leur défaite morale est consommée et leur défaite stratégique proche.", voilà le message qui circule aujourd'hui chez les Arabes.

Rappelons que la guerre du Vietnam fut une longue suite de victoires militaires américaines, interrompue par une fuite précipitée devant l'incapacité de gagner sur le plan stratégique. Au Vietnam aussi, l''ennemi subissait de lourdes pertes, voyait ses structures de commandement et ses lignes de ravitaillement détruites et devait recruter à la va-vite des milliers de nouveaux combattants.

Le titre du troisième article est donc totalement erroné: Zarqawi n'est pas défait ni même proche de l'être et appelle à l'escalade terroriste pour faire face à l'escalade militaire américaine.

De même, les cris de victoire du second article ou de Glenn Reynolds sur Instapundit proviennent d'une analyse déficiente des faits et d'une mauvaise transmission de l'information, conditionnées par la certitude fanatique d'avoir raison et la volonté de gagner. Le tout conduit à ce qu'on appelle communément de la propagande, c'est à dire la transmission systématique d'informations fausses afin d'obtenir un certain effet sur la populaiton: oui, nous finirons par gagner, les choses s'améliorent, donnez-nous encore un peu plus de temps et un peu plus de crédits...